Sur le « socle commun des connaissances », la droite érige la statue de Margaret Thatcher

Ne comptez pas sur nous pour cautionner le sacrifice de l’école publique sur l’autel du libéralisme
jeudi 8 juin 2006

Malgré notre rejet majoritaire de l’Europe libérale, le 29 mai 2005, le gouvernement français met en place une politique éducative qui s’inspire directement de la conférence européenne de Lisbonne. Le gouvernement anglais va déjà plus loin. Les écoles publiques du Royaume-Uni peuvent maintenant sortir du giron de l’Etat et devenir des « Trust schools », dont les conseils d’administration sont contrôlés par l’investisseur majoritaire.

Qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un groupe religieux, cet investisseur préside, par exemple, au recrutement du personnel et des élèves. En Grèce, nos collègues luttent aux côtés des étudiant-e-s contre la privatisation de pans entiers du système éducatif. C’est donc sous nos yeux, dans toute l’Union Européenne, que des politiques antisociales dégradent volontairement les services publics d’éducation, pour que les élèves qui en ont les moyens s’orientent vers l’école privée. Les riches paient moins d’impôts, et leurs enfants, avec les écoles privées « haut de gamme », mais aussi avec les officines de soutien scolaire à domicile, creusent encore l’écart. Ces politiques, dictées par la seule volonté de réduire le budget des Etats, sont portées par des gouvernements de droite et de gauche qui sacrifient les ambitions démocratiques de l’école publique sur l’autel du capitalisme « libéral ».

Le « socle commun », paquet cadeau d’une école publique à vendre

Nous n’ignorons pas que le gouvernement français actuel, dans le paquet-cadeau du « socle commun des connaissances », de « l’égalité des chances » ou de « l’ambition réussite » essaie de démanteler en tapinois le service public d’éducation nationale pour mieux l’abandonner au secteur marchand. Les lobbys patronaux, et en particulier le MEDEF, sont prêts à investir dans l’éducation et la recherche une infime part de leurs pharaoniques profits, pour que l’école soit, avant tout, pourvoyeuse de salarié-e-s dociles et de consommatrices/eurs effréné-e-s. L’école libérale, en France, au Royaume Uni ou ailleurs, c’est l’école de la soumission, de l’individualisme et de la consommation, pour les enfants et pour les salarié-e-s. Mesure phare de cette destruction du service public d’éducation nationale, le texte instituant le « socle commun des connaissances » est truffé d’expressions dégoulinant de bons sentiments républicains.

Citons-en quelques-unes au fil de la lecture : « droits de l’Homme », « liberté du citoyen », « valeurs », « engagement », « compétences sociales et civiques » « autonomie et initiative »,« diversité culturelle », « culture européenne », « culture humaniste », « citoyenneté libre et responsable », « esprit critique », « respect », « tolérance », « résoudre pacifiquement les conflits », « solidarité », « démocratie », « suffrage universel », « valeur de la loi », « conscience de l’importance du vote et de la prise de décision démocratique » etc. Un tel acharnement sémantique cherche à cacher, sans y parvenir, une réalité bien différente. Il suffit à un enfant de sept ans d’ouvrir un journal pour comprendre que ni la majorité parlementaire, ni le gouvernement actuel, ni le chef de l’Etat ne maîtrisent le socle commun des connaissances. Dans ces conditions, pourquoi accepterions-nous de mettre en oeuvre un telle hypocrisie démagogique ?

Le grand retour de la trique

Les lycéen-ne-s et étudiant-e-s qui ont lutté contre la loi Fillon, puis contre la loi sur « l’égalité des chances » ont pris, collectivement, un véritable engagement citoyen au service de valeurs démocratiques fondamentales ; elles/ils ont fait preuve d’une grande responsabilité, d’autonomie, d’initiative, d’esprit critique, de créativité. Le pouvoir les a « récompensés » par des jets de gaz lacrymogènes, des arrestations arbitraires, des violences policières, des condamnations injustes, de la haine et du mépris. Le gouvernement qui pavane aujourd’hui en se parant de grands idéaux démocratiques, menace aussi d’envoyer sa police, à la sortie de nos écoles, pour rafler les enfants de sans-papiers, les incarcérer, et les expulser manu militari vers des pays que ces enfants ne connaissent généralement pas, dont ils ne parlent pas forcément la langue, et dans lesquels, bien souvent, la faim, la misère, la violence, le racisme et la guerre leur tiendront lieu d’école. Ces enfants, qui sont traité-e-s comme des terroristes, savent mieux que nous que le seul outil pédagogique du libéralisme à la française est une matraque de CRS.

Pour le personnel de l’éducation nationale aussi, la mode est à la « gestion manageuriale des ressources humaines », ce qui se traduit, en clair, par le renforcement de la hiérarchie et de l’inspection, le salaire au mérite, le travail par objectifs, l’individualisation des carrières, l’obligation de résultats, la précarité, la polyvalence, mais aussi par l’acharnement contre celles et ceux qui refusent de voir l’école se transformer en entreprise. Dernier exemple en date dans notre académie, Philippe Gomez, syndicaliste FSU de la Loire, qui a été suspendu 4 mois pour avoir protesté contre la perte de moyens d’enseignement dans son collège (pourtant labellisé « ambition réussite »). Quelles valeurs humaines peuvent transmettre des éducatrices/eurs qui travaillent dans la concurrence, la précarité, la méfiance, la peur et la soumission ?

Ce que l’actuelle majorité prévoit pour les enfants qui ne rentrent pas dans leur moule est également très éloigné de l’idéal présenté dans le « socle commun » : prévention de la délinquance dès la crèche, casse de l’éducation prioritaire, note de vie scolaire, bourses au mérite, suppression des allocations familiales pour les absentéistes, centre éducatif fermé, apprentissage dès 14 ans, etc. Pour elles/eux, ce n’est pas l’école à deux vitesses, c’est carrément l’école en marche arrière. Ces mesures, loin de constituer une réponse sociale aux émeutes de novembre 2005, vont encore renforcer les mécanismes de ghettoïsation et les délires sécuritaires qui hypothèquent notre avenir collectif. Ces politiques sont la négation même des valeurs de la démocratie. Le PS, partisan de cette Europe libérale qui brise, de fait, l’école publique, tient également des discours aux accents sécuritaires et antisociaux auxquels Le Pen doit parfois applaudir. Royal a proposé récemment, par exemple, de confier les mineur-e-s délinquant-e-s à l’armée, et d’imposer à leurs parents des cours de parentalité.

Pour SUD, c’est à la misère qu’il faut s’attaquer avant tout, car elle est la principale cause de la délinquance juvénile. Par un partage équitable des richesses, il est possible d’accorder à toutes les personnes majeures un revenu supérieur au SMIC actuel, quelle que soit leur activité (formation, étude, emploi, retraite ou autre), mais aussi un logement agréable, une sécurité sociale renforcée ; et au terme des études, par un partage équitable du temps de travail, notre société peut fournir un emploi stable à chacun-e... Attaquons plutôt le problème à la racine : la véritable insécurité, c’est l’insécurité sociale.

Une vraie réforme, vite !

Ce qui nous est présenté, depuis la loi Fillon, comme une vaste réforme de l’éducation, est en réalité une contre-réforme, qui organise la défaite du service public d’éducation, et la capitulation de la politique devant l’économie libérale. Il n’est pas question pour nous de vouloir préserver l’existant ou de regretter l’école de nos grands-parents : il faut opérer une véritable réforme, pour une école au service de la justice sociale. A court terme, il est possible facilement de limiter les classes à 20 élèves, avec deux enseignant-e-s par classe partout où c’est nécessaire, des enseignements sur mesure pour tou-te-s les élèves qui en ont besoin, des embauches de titulaires dans tous les corps de métiers (titularisation de tou-te-s les collègues précaires sans concours ni condition), concertation et formation de qualité sur le temps de service, de véritables moyens pour les projets pédagogiques et les innovations... A moyen terme, c’est tout le système scolaire, ses objectifs, ses méthodes, dont il faut débattre à l’échelle de la société entière.

Un enfant qui enfreint les règles et les lois est un enfant qui a besoin d’une réponse éducative sur mesure. La fermeté et le rappel des règles font généralement partie de cette réponse. Mais lorsque cette fermeté devient la seule et unique réponse aux besoins éducatifs d’un enfant, lorsque l’on enferme l’enfant dans l’image de la/du délinquant-e, elle/il devient un être aliéné, et tout processus éducatif est durablement bloqué. Lorsque la collectivité déstabilise des familles fragiles, sous prétexte que leurs enfants font des bêtises, elle renforce les problèmes qu’elle veut combattre. Quelle société construisons-nous en refusant à des milliers de jeunes une place constructive dans la société ? Pour nous, contester la criminalisation des élèves bougeons et de leur famille ne signifie absolument pas se réfugier dans une posture laxiste. Il s’agit de développer, le plus tôt possible, des réponses éducatives qui ne se réduisent jamais à la seule affirmation de l’autorité des adultes, mais multiplient les pistes pour permettre à chacun-e d’être un-e véritable actrice/eur de son développement personnel, dans le cadre collectif de l’école.

Chaque enfant doit avoir sa place dans l’école publique, et son individualité doit y être reconnue. Ni les policiers, ni les militaires, ni les gourous, ni les entreprises ne doivent prendre en charge tout ou partie des missions de l’école publique : commençons par donner aux professionnel-le-s de l’éducation la possibilité de bien faire leurs métiers. SUD lutte, avec d’autres, pour transformer radicalement l’école et la société. Nous cherchons à construire, collectivement, l’école de la réussite de chaque enfant, l’école de la coopération qui permette l’émancipation individuelle et collective et jette les bases d’une société plus humaine et plus juste. C’est exactement l’inverse que nous propose le gouvernement actuel.

La régression sociale ne se négocie pas : elle se combat. Les militant-e-s de SUD continueront de prendre leur part dans les luttes unitaires, aux côtés de leurs collègues.

Cet article a servi de base au discours de notre fédération s’opposant au « socle commun » devant le Conseil Supérieur de l’Education Nationale


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