Pas seulement Paris : les précaires de l’Illinois

SERGIO FINARDI, CHICAGO
mercredi 12 avril 2006

Ces deux dernières semaines, deux fortes manifestations ont
traversé le
centre de Chicago, en occupant pendant quelques temps le cœur d’une
ville connue historiquement pour sa longue tradition de syndicalisme
militant. Le Premier Mai est né ici, des centaines de dirigeants du
mouvement ouvrier étasunien, les plus connus et compétents, sont
nés et
ont lutté ici. Vendredi 10 mars, plus de 150.000 personnes (estimation
de la police) ont marché contre la proposition de loi anti-immigrants
(une sorte de copie du type de législation qui a rendu possible
Guantanamo) introduite au Congrès par le président du comité de la
Chambre pour les affaires juridiques, James Sensenbrenner. Samedi
18, à
l’occasion du troisième anniversaire de l’invasion et occupation de
l’Irak, 15.000 personnes au moins (selon nos estimations les plus
prudentes, 7.000 selon la police) ont, une nouvelle fois, fortement « 
animé » la ville, dans ce qui a probablement été la plus grande des
manifestations tenues le 18 mars aux Etats-Unis.
A la manifestation nous avons rencontré Joe Berry, un historien du
mouvement ouvrier qui enseigne, à Chicago, au siège de l’Institut sur
les relations syndicales et industrielles de l’Université de
l’Illinois
(Urbana-Champain). Berry n’est pas qu’un historien apprécié, il est
depuis 35 ans un militant syndical notoire.

Joe, Chicago est une fois de plus en train de secouer le pays ? Quelle
est ton évaluation de la situation qui a amené à ces deux
manifestations ?
La manifestation contre les lois anti-immigrants a probablement été
une
des plus grandes de l’histoire de Chicago, et elle rappelle celles de
1896 pour les huit heures, menée par Lucy et Albert Parsons, d’où
est né
le Premier mai. Ces manifestations aussi étaient faites de
travailleurs
venus à Chicago chercher un meilleur travail et certainement pas
pour le
bon gouvernement de cette ville ni pour son climat. Bon, c’est un peu
tôt, je crois, pour dire que nous sommes en train d’assister à quelque
chose qui pourrait aboutir à un mouvement à l’échelle de ceux des
années
80 au 19ème siècle. Je ne crois pas que ce soit impossible, toutefois,
étant donné que certaines des raisons qui firent bouger les
travailleurs
sont de nouveau d’actualité, comme l’insécurité et la forte
exploitation
auxquelles les travailleurs immigrés sont soumis, la conviction
diffuse
que les conditions de travail et les salaires moyens sont en train de
disparaître au profit d’une séparation toujours plus grande entre
riches
et pauvres. Ces deux facteurs sont communs aux deux époques. Ce qui
est
différent aujourd’hui c’est que les Etats-Unis sont devenus une
puissance impériale et que l’exercice de cette puissance impériale, en
particulier pour la guerre en Irak, n’a été contrée que par une
minorité, celle que nous avons vue à la manifestation du 18, alors que
la majorité, même à Chicago, est restée passive. Une autre différence,
entre aujourd’hui et l’époque de Haymarket Square, est que maintenant
plus de la moitié de la classe ouvrière de Chicago est, en termes
utilisés aux Usa, « non-blanche ». Les ouvriers de Chicago sont en
grande partie soit des américains africains et latinos (d’origine
africaine ou centre/sud américaine), soit des asiatiques ou fils
d’immigrés asiatiques. La partie « blanche », enfin, est formée aussi
d’immigrés européens récents. En ce sens, les manifestations ont un
caractère international ­je dirais même « global » - qu’on ne peut pas
retrouver à un tel niveau même dans la solidarité pourtant présente de
l’autre siècle. Les deux manifestations révèlent que même au cœur des
Etats-Unis nous sommes reliés avec ce qui se passe au-delà de nos
frontières et la question, pour beaucoup d’entre nous maintenant,
n’est
pas « comment pouvons-nous arrêter ou inverser ce processus » mais
plutôt « qui va contrôler ces liens et que fera le mouvement pour les
influencer ou pour en déterminer le caractère ? »
*(et nous alors... ? note de la traductrice marseillaise)

Tu as récemment publié « Reclaiming the Ivory Tower », un livre où,
entre autres nombreuses choses, tu décris les milles façons dont les
managers des universités essaient de contrer les tentatives
d’organisation syndicale, d’empêcher un véritable exercice de la
liberté
de parole et d’enseignement et, plus encore que par le passé, de
transformer les établissements universitaires en entreprises où les
travailleurs précaires constituent le gros des formatés à leur « 
business ». Penses-tu que ce trend (tendance, ndt) a influencé la
façon
dont les gens ont répondu aux politiques criminelles de cette
administration ou a freiné la croissance, dans les universités
étasuniennes, d’un mouvement plus fort contre la guerre ?

La précarisation du travail, que ce soit dans les universités ou dans
l’économie en général, ajoutée à une situation qui sur les standards
européens était déjà d’insécurité de l’emploi, est un des facteurs
majeurs de la tendance qui est en train de redessiner la vie de la
majorité de la classe ouvrière aux Etats-Unis. L’exemple des
enseignants
des collège est vraiment un des cas les plus extrêmes, et qui se
développent, liés à ce trend qui prend forme ces trente dernières
années, en transformant les enseignants des universités en
travailleurs
intellectuels précaires. L’effet spécifique de cette précarisation sur
le comportement des gens face à cette administration n’est pas encore
clair. D’un côté, la peur ­ économique, politique, sociale ­ est à
coup
sûr aujourd’hui le sentiment dominant chez des nombreux étasuniens.
L’administration joue là dessus pour promouvoir ses politiques et
décourager les gens de s’organiser de façon indépendante. De l’autre
coté, la dégringolade vers des salaires bas, et l’aggravation de la
qualité de la vie portent un potentiel d’ouverture sur des
perspectives
plus critiques, et sur des idées radicales aussi, et à un niveau,
désormais, qu’on n’avait pas vu depuis les années 60 voire peut-être
depuis les années 30. Cette force potentielle, pour sa plus grande
part,
n’est pas encore arrivée à s’exprimer en une critique généralisée et
avec une base de masse. Et ceci, soit du fait que le leadership du
mouvement syndical ­affaibli mais quand même toujours une grande
force-
n’a pas relié les divers éléments de cette force et adopté une vision
militante, soit à cause de l’absence d’une leadership de gauche
ayant la
force et la capacité d’influencer les événements sur une échelle de
masse et nationale. Cependant, comme c’est justement arrivé pendant la
Grande crise de 1929, la situation peut changer rapidement. Le
développement du mouvement syndical sur les campus des universités,
chez
les travailleurs diplômés, les enseignants précaires, et autres
travailleurs universitaires, montre qu’il y a un potentiel pour la
victoire de l’espoir et du courage sur la peur et le fatalisme.

Edition de mercredi 29 mars 2006 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/29-Marzo-2006/art7.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


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