Lettre ouverte aux préfets de France
"[...]Oserait-on nous accuser du « délit de solidarité » humaine ? Ne pas réagir nous mettrait dans une position délictuelle infiniment plus grave et lourde de conséquences : celle de « non assistance à personne en danger ». Notre choix est clairement fait.[...]"
Monsieur le Préfet,
L’analyse est simple qui consiste à peser par avance les dégâts humains et les infinies souffrances qui vont directement découler de la « loi relative à l’immigration et à l’intégration », déjà votée par l’assemblée nationale et le sénat, dont on peut prévoir une promulgation prochaine. Déjà, la circulaire sur les interpellations, du 21 février 2006, avait sinistrement ouvert la « chasse aux sans papiers » dans un climat délétère propice aux interpellations constantes de parents sans papiers d’enfants scolarisés, et d’enfants jusque dans les écoles, malgré la circulaire du 31 octobre 2005.
Celle du 13 juin 2006 sur les « mesures à prendre à l’endroit des étrangers dont le séjour en France est irrégulier et dont au moins un enfant est scolarisé depuis septembre 2005 » a d’abord pour objectif d’inciter les familles au retour volontaire. Ce n’est que lorsque ces dernières ne seront pas « convaincues » que vous pourrez faire usage de votre pouvoir d’appréciation en vue d’éventuelles régularisations, dès lors que la demande aura été présentée dans un délai de deux mois à compter du 13 juin. Le MRAP s’inquiète vivement de la liste particulièrement longue de critères se prêtant à interprétations subjectives et faisant intervenir des notions dont l’appréciation ne pourra qu’être à géométrie variable : « volonté d’intégration des familles » jaugée à l’aune de la « maîtrise du français » ou du « sérieux des études » des enfants (la préfecture aurait-elle désormais accès aux carnets de notes ?). Sans compter l’exigence exorbitante d’ « absence de lien de cet enfant avec le pays dont il a la nationalité » qui susciterait un tollé général si elle était appliquée par des Etats étrangers à de jeunes citoyens français.
Au delà des légitimes réactions politiques face à un texte de loi relative à l’immigration et à l’intégration qui fait reculer de plusieurs décennies les droits des étrangers et instaure pour eux l’insécurité juridique au profit du pouvoir discrétionnaire hypertrophié de l’administration, tout ce que notre pays compte d’associations de défense des droits humains, de syndicats et d’autorités morales s’est élevé contre cette loi liberticide et inhumaine qui fait de l’immigré un facteur de production plus aisément « jetable » que les biens et services.
Une telle politique choque les consciences autant qu’elle défie le bon sens à l’heure où l’impératif de co-développement économique solidaire et la démographie imposent de repenser conjointement - pays de départ et pays d’arrivée - les migrations internationales mondialisées.
Nous, citoyens engagés « sur le terrain », regroupés au sein du mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, au contact direct des étrangers victimes de ces pratiques administratives, nous trouvons déjà submergés d’appels au secours auprès de nos permanences d’accueil. Nous devons faire face à des situations dramatiques, impensables il y a seulement quelques années.
Sans attendre la promulgation de la loi ni ses décrets et circulaires d’application, nombre de préfectures ont pris les devants pour en anticiper l’exécution, fût-ce en contradiction avec les obligations internationales de la France, avec d’autres lois françaises et au mépris des procédures administratives et judiciaires.
L’entrée en vigueur de la nouvelle loi, si elle a pour effet de légaliser la chasse aux étrangers sans papiers et aux parents sans papiers d’enfants scolarisés, ne pourra cependant pas la légitimer au regard de l’éthique et du devoir de solidarité.
Oserait-on nous accuser du « délit de solidarité » humaine ? Ne pas réagir nous mettrait dans une position délictuelle infiniment plus grave et lourde de conséquences : celle de « non assistance à personne en danger ». Notre choix est clairement fait.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l’assurance de notre respect républicain.
Mouloud AOUNIT
Président du MRAP
Paris, le 24 juin 2006
Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples
43 bd Magenta - 75010 Paris - Tél. : 01 53 38 99 82