LES « CASSEURS DE BANLIEUE » ET LE « MOUVEMENT ETUDIANT »

Un texte des étudiant-es de la Sorbonne
samedi 8 avril 2006

Tabou, névrose... ou extension nécessaire du domaine des revendications

Pour nombre d’entre nous, la journée du 23 mars a constitué un
tournant ; la confrontation avec les jeunes des banlieues a été un
moment de prise de conscience douloureux, elle nous a montré que
notre lutte n’était pas aussi simple, ou isolée, qu’elle en avait
l’air (les bons, nous, contre les méchants, le gouvernement). Un
troisième terme s’invitait à la fête.
La question ne nous paraît pas se résorber par le seul
renforcement, nécessaire, du service d’ordre. Et le vote du
vendredi 24 : « L’AG de la Sorbonne ne se prononce pas sur la
question » nous paraît autruche : non seulement lâche, mais
hypocrite. Ne pas se prononcer, c’est en faire un sujet tabou : on
renforce le SO, et on continue à regarder devant nous (le
gouvernement) en feignant d’ignorer ce qui déboule par derrière et
les côtés (la banlieue). Belle névrose en perspective.

Il ne s’agit pas de faire de l’angélisme et de nier les vols et les
agressions physiques perpétrés par ces jeunes à l’encontre de
plusieurs d’entre nous. Ces agressions, nous les condamnons
catégoriquement ; et nous avons le devoir de nous en défendre. Mais
il nous paraît impossible de rejeter ces jeunes sous le nom de « 
voyous », tout en continuant à afficher une solidarité de façade à
l’égard du « mouvement des banlieues » de novembre dernier. Il
serait trop facile de voir en eux un mouvement social, posant des
problèmes de fond, tant qu’ils restent en banlieue et brûlent là-bas des voitures ; pour ensuite n’y voir plus que des « voyous »
quand ils viennent dans Paris et qu’ils s’en prennent à nous,
étudiants et manifestants.

Nous devons nous défendre contre les agressions
qu’ils commettent contre nous ; mais il nous paraît décisif de
considérer par ailleurs que nous n’avons pas à juger leurs modes
d’action : les casseurs sont fréquemment hués par les manifestants
étudiants, dès qu’ils s’en prennent à un abribus ou une voiture.
Nous, étudiants au Quartier latin, parce que nous ne subissons pas
la violence exercée quotidiennement sur ces jeunes, ne saurions
être en mesure de leur donner des leçons de civisme et de
responsabilité. La violence de ces jeunes répond à une violence
d’Etat. Pour condamner celle-là, il nous faudrait taire celle-ci.
Or il est grand temps au contraire de la faire apparaître au grand
jour.
Il nous faut donc refuser catégoriquement la posture qui consiste à
condamner les actes venus de la banlieue en les opposant à un
mouvement étudiant qui serait, lui, “civilisé”, “non violent”,
“responsable”. Cette posture est un piège : elle est exactement ce
que le gouvernement attend de nous ; car elle légitime et renforce
la posture qui est la sienne à l’égard des émeutes de banlieue :
une posture policière (surveillance, contrôle, répression).

La manifestation de jeudi a jeté le trouble dans l’esprit de
beaucoup d’entre nous. Cependant,

1) notre détermination à obtenir le retrait du CNE et de la Loi sur
l’Egalité des chances n’a pas faibli. Nous continuons la lutte en
ce sens avec autant de détermination.

2) mais nous prenons conscience que notre mouvement ne saurait se
poursuivre sans prendre en considération (et ce, de façon également
prioritaire) le désarroi des banlieues ; ni sans tisser de liens
avec elles.

La rencontre conflictuelle de deux jeunesses dans les rues de Paris
jeudi était un constat amer : enfin, la réalité de la colère de
novembre nous éclatait à la figure. Nous, étudiants de la Sorbonne,
reconnaissons n’avoir pas su prendre la mesure du mouvement des
banlieues : comment avons-nous pu laisser passer le mois de
novembre sans une fois organiser, sous quelque forme que ce soit,
la manifestation de notre soutien ? En mars, notre silence de
novembre retentit amèrement.
Il est inacceptable que le mouvement étudiant, par crainte de
discrédit auprès des médias et de l’opinion, en vienne à se
désolidariser des jeunes de banlieue et s’autorise à condamner leur
violence. Car c’est adopter le même ton, poli, que le
gouvernement : c’est ne pas voir que ce discours d’anti-violence
polie tait et cache la violence véritable, exercée au quotidien sur
ces jeunes (contrôles policiers, discriminations à l’emploi, au
logement, etc.). Si nous adoptons ce discours, nous nous plaçons du
côté du gouvernement ; et contre eux.

Gagner sur le CPE sans avoir obtenu quoi que ce soit pour la
banlieue, ni su établir aucun lien avec elle, ne serait plus pour
nous qu’une victoire amère. Nous ne saurons oublier que, ce 23 mars
2006, dans les rues de Paris, deux jeunesses se sont regardées de
travers, échangeant des regards pleins d’incompréhension, de
méfiance, de désarroi, de honte, de haine ; deux jeunesses devenues
étrangères l’une à l’autre. Ce divorce est le fruit de politiques,
menées depuis nombre d’années, qui nous apparaissent aujourd’hui
dans leur violence criminelle. Ce sont ces politiques que tous,
depuis la banlieue comme depuis Paris, devons combattre.
Sur cette fameuse question de la violence, qui divise les AG de
France, il serait bon de ne pas se tromper de cible. La ligne de
partage que cherchent à imposer le gouvernement, les médias,
l’opinion (entre les bons étudiants non-violents et les méchants
casseurs) est un piège redoutable. Elle permet que soit laissé dans
l’ombre un terrible détail : la violence exercée sur ces jeunes par
l’Etat, au quotidien. Commençons par condamner cette violence, haut
et fort, et prenons clairement position contre elle, avant de nous
scandaliser benoîtement devant celle qui y répond.

Des étudiants de la Sorbonne

[Pour cette raison, l’AG de la Sorbonne décide d’ajouter à ses
revendications la suivante : « ... « ]

[ Nous décidons par ailleurs de consacrer une
partie de nos forces à mettre en place les conditions d’un dialogue
avec la banlieue. Cette tâche, difficile, nouvelle, doit inventer
des formes nouvelles, et .......................... ]

Hier, enfin face à face avec les « jeunes de novembre », nous
évitions les coups et les vols ; et notre « bonne conscience »
était plutôt mal à l’aise ; non seulement nous prenions des coups,
mais nous baissions les yeux. Il s’agissait de nous défendre contre
un « ennemi » qui n’en était pas un.
Il est temps d’accomplir ce pas décisif :
[déplacer] le problème.

[
Nous condamnons l’attitude de tous les gouvernements qui ont permis
qu’une telle ligne de partage se produisent à l’intérieur de la
jeunesse, et plus généralement de toute la population ; c’est-à- dire tous les gouvernements qui ont
Nous exigeons des gouvernements actuels que des mesures soient
prises en faveur des banlieues.
]
[Nous condamnons la rhétorique qui consisterait à opposer les deux
jeunesses ; cette rhétorique est celle du gouvernement, de la
plupart des médias, et de certains syndicats étudiants ].

Car le problème du CPE (qui nous oppose au gouvernement) est un
problème confortable pour nous (puisqu’il nous place du côté des
victimes). Le problème de la banlieue nous met bien plus mal à
l’aise : les victimes, ce n’est plus nous ­ et lutter sans posture
de victime, voilà qui est moins simple. Il oblige à inventer des
formes nouvelles. Relevons le défi.

Les jeunes de banlieue ont exprimé en novembre dernier un malaise
profond qui n’a pas été entendu par le gouvernement et que nous
mêmes avons été incapables de prendre en compte.


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