Quel syndicalisme voulons-nous ?

En attendant la formule magique du syndicalisme efficace...
mercredi 23 juin 2004

Dans le Rhône, les intersyndicales de l’éducation sont de vraies rencontres unitaires. On peut y distinguer schématiquement deux cultures : le syndicalisme vertical, qui fonctionne de manière sectorielle et hiérarchisée (FSU, UNSA, CFDT), et le syndicalisme de lutte, qui est le plus horizontal possible (CNT, PAS, SUD) ; la CGT joue un peu sur les deux tableaux, et FO est aux abonnés absents depuis des mois. Syndicats verticaux ou horizontaux, personne ne détient la vérité. Un syndicat comme SUD, tout petit et tout neuf, n’a de leçons à donner à personne. Mais nous souhaitons développer le débat intersyndical constructif, car l’unité véritable se construit aussi à partir des différences, et non pas dans leur négation.


Tou-te-s uni-e-s... derrière la FSU ?

Le syndicalisme sectoriel veut mobiliser la majorité des salarié-e-s de l’éducation, estimant que nos revendications seront entendues à ce moment-là, et que les autres secteurs doivent se mobiliser de la même manière, à partir de leurs luttes particulières, avant de pouvoir construire un mouvement interprofessionnel efficace. Ainsi la FSU, parce qu’elle est majoritaire aux élections professionnelles, est reconnue par ses pairs comme « locomotive légitime ». Elle cherche à mobiliser tout le monde : les parents d’élèves et les syndicalistes révolutionnaires, les syndicats étudiants et la ligue de l’enseignement, la FOL et les bataillons lambertistes, les collègues non-syndiqué-e-s, et les carpettes du gouvernement-MEDEF, les étudiants et la ligue de l’enseignement : Chérèque, Bakounine, même combat ! Il faut saluer cet optimisme constructif, mais on peut se poser des questions sur l’efficacité de cette unité qui s’apparente trop souvent, dans les faits, au consensus mou, et renforce le pouvoir de la « clef de voûte » FSU. SUD fait partie des syndicats qui prennent de plus en plus leurs distances avec cette unité du plus petit dénominateur commun... Mais qui n’ont pas encore les forces suffisantes pour représenter une véritable alternative !

Le syndicalisme horizontal et le problème des mutations.

Nous aimerions tou-te-s que la logique sectorielle fonctionne, mais est-ce possible ? Le syndicalisme, en particulier dans le privé, a-t-il les moyens de mobiliser une majorité de salarié-e-s de chaque secteur sans aide extérieure ni coopération interpro ? Comment ce mouvement construit par secteurs professionnels peut-il prendre en compte les millions de personnes privées d’emploi, premières victimes de la régression sociale ? Par ailleurs, les syndicats verticaux de notre secteur, dotés de moyens infiniment supérieurs à ceux de SUD, travaillent-ils efficacement à la mobilisation générale contre les reculs sociaux dans l’éducation ? Chacun-e peut se faire une idée : lisez leur presse, comptez le nombre de militant-e-s qui défilent derrière les camionnettes de l’UNSA et de la CFDT, écoutez leurs prises de parole ou leurs silences dans les AG de grévistes... Où sont leurs priorités, au-delà des beaux discours : est-ce les mutations profondes de notre société, ou les mutations de leurs adhérent-e-s pour la rentrée prochaine ? Quelle est la marge de manœuvre des militant-e-s locaux vis-à-vis des mécaniques nationales ? Leurs journées « temps forts » nationales sont-elles construites comme le point de départ de luttes plus dures, ou comme le moyen de calmer leur « base », tout en conservant le contrôle ? Quels résultats ont-ils obtenus par ce type d’action ? Quelle est la légitimité des critiques, lorsqu’elles émanent de permanent-e-s qui ne travaillent plus sur le terrain depuis des années, ou de syndicats qui cogèrent le ministère depuis des décennies, et qui accompagnent, même contre leur gré, la casse du service public ? Loin de ce syndicalisme-là, nous voulons faire de SUD « l’outil d’un syndicalisme différent », et lorsque nous faisons l’éloge du syndicalisme horizontal, nous ne parlons pas des syndicats qui se couchent devant le pouvoir (ou qui coucheraient avec ?), mais d’un syndicalisme transversal et sans hiérarchie !

Le syndicalisme mou roule pour la gauche molle

Même si une majorité de salarié-e-s de l’éducation se retrouvait unie dans la lutte, nous n’aurions absolument pas le contrôle de l’éducation nationale. Ce sont les parlementaires et l’exécutif qui restent maîtres du jeu. Nos collègues le savent : les revendications des syndicats sectoriels avanceront si une majorité parlementaire les transforme en lois. Vouloir avant tout rallier une majorité, c’est entrer dans une logique politicienne. Les adhérent-e-s de ces syndicats délèguent le militantisme à leur appareil syndical, qui renvoie la balle, par la bande, vers la « gauche gouvernementale », et donc vers les électrices/eurs. La boucle est bouclée, et le syndicat n’est qu’un intermédiaire impotent. Le syndicalisme sectoriel travaille donc indirectement, contre son gré peut-être, pour le PS, seul parti de « gauche » en mesure de gouverner demain : il n’a rien à attendre des luttes. Pire : si des transformations sociales profondes s’opéraient, il aurait peur de voir son influence diminuer. « La base ne suit pas », nous disent les responsables des grosses organisations syndicales. Mais c’est la base qui ne suit pas, ou le sommet qui n’attire pas ? La base ne suit pas non plus les énarques à cravate installés au sommet des partis qui se disent la voix des exclu-e-s, des ouvrier-e-s ou de la « France d’en bas ». Partout, c’est le système de délégation incontrôlée du pouvoir qui est obsolète.

Le syndicalisme sectoriel rêve d’incarner le groupe le plus nombreux, espérant, par ce biais, imposer ses choix politiques. Mais nous savons que les décisions du pouvoir reflètent souvent une expression minoritaire (aujourd’hui, combien de personnes soutiennent vraiment l’UMP ?). La majorité des suffrages exprimés un dimanche (dans le cadre d’un système politique qui muselle les petites formations et n’accorde pas le droit de vote à tout le monde) n’a rien à voir avec l’opinion, quatre ou cinq ans plus tard, des 60 millions de personnes qui vivent en France. Mais inutile de jeter la pierre au chef : entre les bases et les sommets, nous sommes tou-te-s responsables des éternelles pannes d’ascenseurs. Il est donc grand temps d’abattre les pyramides syndicales et politiques, et de mettre les momies au musée.

Une autre école, une autre société

Contre le système de la délégation de pouvoir, c’est donc une organisation horizontale qu’un syndicat comme SUD expérimente à petite échelle (AG mensuelles souveraines, rotation des mandats, recherche de consensus, respect des minorités)... Bien sûr, si on avait la taille de la FSU, ce serait plus compliqué de fonctionner de cette manière. Mais les syndicats horizontaux ou les collectifs de lutte sont aussi des laboratoires pour un autre partage des responsabilités, et une gestion collective de la « chose publique ». SUD ne cherche pas à devenir majoritaire : le monde du travail est le secteur le plus antidémocratique qui soit. Le pouvoir économique appartient encore, malheureusement, à une minorité, et tout se joue au rapport de force. Militant-e-s du syndicalisme horizontal, nous voulons constituer le groupe le plus fort, majoritaire ou non. Même la majorité est rarement la plus forte, et surtout, on peut être majoritaire et avoir tort. Nous cherchons à construire le contre-pouvoir permanent, et à bâtir une véritable démocratie dans le monde du travail (par exemple par la socialisation de l’investissement...). SUD ne travaille pas pour un parti politique, un système ou un modèle social pré-établi qu’il s’agirait de construire sur les ruines de notre société (nous ne sommes pas partisans d’un syndicalisme révolutionnaire, au sens traditionnel du terme). Nous cherchons à construire, modestement et avec d’autres, un syndicalisme de transformation sociale. Nos différences restent importantes avec nos partenaires privilégié-e-s de l’intersyndicale contre la précarité (PAS, CNT et CGT), et plus encore avec les autres syndicats. Mais à l’heure de la démolition sociale, nous n’avons pas d’énergie à perdre dans des querelles fratricides : il faut dialoguer et s’unir, dans le respect de l’identité de chacun-e.

Avec « spectacle en lutte » ou AC !, avec les anarcho-syndicalistes (nombreuses/x à la CNT, par exemple) ou la branche de « l’école émancipée » restée politiquement indépendante, avec les autres SUD et l’union syndicale Solidaires, avec celles et ceux qui peuvent encore lutter, nous tissons des liens interprofessionnels, parce que nous pensons que la convergence de toutes les énergies militantes peut créer un rapport de force favorable, en particulier dans les trois luttes transversales que nous considérons comme prioritaires aujourd’hui : défense des services publics et de la sécurité sociale, lutte contre la précarité dans le public et le privé. Pour nous, il ne faut pas se lamenter sur la faiblesse des mobilisations, ni en rejeter la faute sur les autres, ou attendre que la majorité passive descende dans la rue demain matin, il faut lutter aujourd’hui avec celles et ceux qui sont prêt-e-s à le faire : bouger avec celles et ceux qui bougent. Ce qui ne nous empêche pas de lutter aussi dans notre secteur, parce que les autres ne le feront pas à notre place, et parce que nous pensons que l’école, dans son fonctionnement quotidien, ses contenus didactiques et ses méthodes pédagogiques, devrait être le premier vecteur d’une humanité plus juste et plus solidaire.


La publication de cet article dans notre journal Itinéraires Sud de juin 2004 a entraîné une réponse de la FSU que vous pourrez trouver sur notre site, de même que la réponse de l’AG de Sud Education Rhône à cette réponse...


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